DEVINE QUI VIENT DOUBLER? L’exposition du Musée Sacem avec les podcasts de Vanessa Bertran – L’interview de Vanessa
Dans le cadre de l’exposition « Devine qui vient doubler ? » sur le site du Musée Sacem, Vanessa Bertran, notre Présidente, a enregistré 12 podcasts que nous vous encourageons vivement à aller écouter (liens à la fin de l’interview) sur des sujets divers tels qu’une « petite histoire du doublage », « un auteur de doublage, ça ne fait pas les voix », « le sous-titrage: une cuisine sans gras », avec des témoignages d’auteur et un hommage à Jean-Louis Sarthou, Pierre Calamel et Patrick Siniavine. Nous l’avons interviewé à notre tour :
Upad : Qu’est-ce qui t’a donné l’idée, l’envie de réaliser cette série de podcasts sur le doublage ?
V.B. : Depuis 2018, le Musée Sacem permet de mettre en lumière certains auteurs, certaines carrières, et certains répertoires et je regrettais depuis longtemps qu’il y ait très peu de choses sur le doublage. C’est vrai qu’il y a de très belles archives : des partitions, des témoignages, des bulletins d’adhésion etc… Il y a aussi quelques entretiens de compositeurs. Mais il n’y avait pas grand-chose sur les dialoguistes et auteurs de sous-titres, alors que c’est un répertoire sur lequel il y a beaucoup à dire et pouvant intéresser un public plus large que celui des auteurs de doublage.
Du coup, il y a 2 ans, j’en ai parlé à l’équipe du Musée Sacem en leur disant qu’il fallait faire quelque chose pour réunir les documents déjà publiés et leur donner du sens. Ils ont alors commencé à mettre en place une exposition et à faire appel à François Justamand, un journaliste fan de doublage qui anime la Gazette du doublage sur internet, et qui a commencé à travailler sur des cartels, à écrire des textes et à rassembler des photos.
En septembre 2020, Claire Giraudin a pensé qu’il serait bien qu’il y ait aussi des podcasts et elle m’a demandé si j’avais des idées. Je lui ai répondu que je n’avais pas UNE idée, j’en avais 15 ! Je savais qu’il y avait plein de professionnels à interviewer et je me suis dit : « C’est trop bête ! Je connais plein de gens formidables dans ce métier ! Je vais les interviewer parce qu’il faut que leur mémoire (l’histoire du métier) reste transcrite quelque part ».
Upad : C’est un peu la continuité de ce que tu as fait avec les REC à Dijon en 2020 ?
Oui sauf que là par internet, on s’est dit qu’on allait toucher un public beaucoup plus large.
La 1ère édition des REC (Rencontre des Écritures Créatives), lancée par le trio Vanessa Bertran, David Ribotti et Olivier Delevingne, s’est tenue à Dijon en janvier 2020 dans le cadre de l’Université de Bourgogne. Elle a permis à des étudiants de mieux comprendre le doublage en leur faisant créer une version française d’un film muet de Fritz Lang. Ces étudiants ont dû écrire le texte des dialogues des comédiens à l’écran, créer une bande son : musique et bruitage, enregistrer les voix et le résultat a été projeté sur grand écran dans un théâtre pendant une soirée dédiée.
Philippe Lebeau, Vanessa et David Ribotti pendant les REC en janvier 2020.
Upad : Comment as-tu procédé ?
Je me suis dit qu’il y avait des passages obligés. Au départ, on avait prévu de faire 5 ou 6 podcasts. Par exemple, on ne pouvait pas faire l’impasse sur l’histoire du doublage, qui est par ailleurs un sujet passionnant.
Upad : Justement où as-tu trouvé toutes tes infos ? Il y a plein de gens, y compris du métier qui ne connaissent pas les origines de notre profession et notamment l’histoire des accords Blum-Byrnes :
V.B. : J’ai appris plein de choses moi-même. J’ai trouvé des infos dans le peu de livres qui existent sur le doublage dont celui écrit par François Justamand, et j’ai glané des choses sur internet en vérifiant à chaque fois leur véracité. J’ai essayé de rassembler ce qui était épars. Rien ne synthétisait tout ça. Donc j’ai pensé que j’allais faire un épisode sur l’histoire, un sur la technique et les autres, je ne savais pas encore trop. J’ai donc commencé à interviewer plein de gens et au fur et à mesure, j’ai eu d’autres idées de thèmes qui me sont venus comme par exemple, la transmission.
J’avais écrit une sorte de note d’intention générale et je me suis laissé surprendre par ce que les gens me disaient. Quand j’ai interviewé Isabelle Audinot, je ne pensais pas forcément consacrer un podcast entier au sous-titrage mais ce qu’elle m’a dit m’a semblé tellement intéressant que j’ai décidé d’en faire un épisode entier. Et au fur et à mesure que je faisais les interviews, j’ai modifié l’architecture initiale du projet. J’ai transcris l’ensemble des interviews sur des feuilles, j’ai surligné, j’ai découpé et j’ai fait des puzzles par thématiques. J’ai fait une sorte de pré-montage et ensuite j’ai écrit mon texte pour donner une ligne conductrice dans le récit pour que ce ne soit pas juste une juxtaposition de témoignages.
Si cela vous intéresse de lire le livre cité de François Justamand, c’est celui-ci et il a été publié en 2007 chez Objectif Cinéma.
Upad : Comment as-tu choisi tes intervenants ?
V.B. : Il me semblait important que la catégorie la plus représentée soit celle des dialoguistes (il y en a 8). C’est surtout eux dont je voulais recueillir la parole. J’étais en contact avec différents auteurs. Nous avions souvent eu des discussions sur le métier et sur leur carrière et donc je savais qu’ils avaient un savoir-faire particulier (les programmes jeunesse, l’humour, les séries policières etc…). La période n’était pas vraiment propice non plus à entrer en contact avec de nouvelles personnes, et nous avons même dû réaliser certains entretiens à distance. Il y avait un tronc commun de questions que j’ai posées à tous et puis par ailleurs, j’ai réfléchi pour chacun à ce qu’il pourrait apporter de plus personnel et représentatif ;
En même temps, ça me semblait important aussi qu’il y ait un directeur artistique et des comédiens, même si eux ont plus la parole dans la presse. Dès qu’on parle doublage, les gens pensent aux comédiens ! Mais on ne peut pas les évincer puisque nous écrivons pour les comédiens. Mais comme quand on nous demande tout le temps quand on nous demande quel est notre métier : « Ah, tu es dans le doublage ? Et tu fais quelle voix ? », il me semblait primordial d’expliquer les différents métiers. D’où le podcast intitulé: « Dans les coulisses des studios ». Il se trouve que certains interviewés ont plusieurs casquettes comme Vincent Violette qui est comédien mais qui a aussi fait de la direction artistique et qui aujourd’hui, fait surtout de l’écriture. Donc c’était bien aussi d’avoir son témoignage car il pouvait me dire si une de ses activités enrichissait l’autre et je trouve que c’est encore un autre regard. Pareil pour Georges Caudron qui a fait à la fois de la direction artistique et de l’interprétation et qui, lui, ne veut absolument pas entendre parler d’écrire des adaptations. C’était donc intéressant de lui demander pourquoi il ne voulait pas écrire alors qu’il a le sens de la réplique. C’est intéressant aussi d’avoir l’avis d’Emmanuel de Rengervé qui est Délégué Général du Snac et juriste spécialisé dans la propriété intellectuelle. Et il y a beaucoup d’autres adaptateurs que j’aurais voulu interviewer mais alors, j’y aurais passé 6 mois (rires) ! En attendant, je tiens à remercier l’ensemble des intervenants de m’avoir donné autant d’eux parce que j’ai eu l’impression en les interviewant tous, d’avoir « pris », « pris » dans le sens de pouvoir après redonner au public. J’ai découvert une richesse en posant des questions qui relèvent de l’intime et j’ai trouvé très courageux, très beau que chacun d’eux m’ait répondu avec une telle sincérité. J’ai été très touchée.
Upad : Est-ce que tu savais dès le départ que tu allais demander à quelqu’un de faire l’habillage sonore de ton récit ? Comment Olivier Delevingne est-il arrivé dans le projet?
V.B. : Je peux écrire, je ne peux pas enregistrer, encore moins réaliser donc oui, il me fallait collaborer avec un réalisateur, un « metteur en ondes ». Quand j’ai demandé à Olivier s’il voulait participer à ce projet, sa réponse a été : « évidemment !». Il connaissait déjà l’univers du doublage auquel il a été sensibilisé à Dijon. Pour un spécialiste du son, être responsable de la réalisation d’un podcast sur la bande son des films, c’était totalement un sujet pour lui, et il a aussi composé toutes les musiques additionnelles. N’oublions pas qu’il a été le premier président de l’Unac, Union nationale des auteurs et compositeurs, à décerner un Grand Prix de l’Unac à un dialoguiste de doublage, en l’occurrence Pierre Valmy, en 2020.
J’ai certes adapté une centaine de documentaires (donc l’écriture documentaire ne m’était pas étrangère), mais écrire pour le son – sans image de référence – était nouveau pour moi. Olivier a joué le rôle de directeur artistique. Quand j’enregistrais mon texte, il m’aidait à prendre du recul, et il me disait : « non non, on va recommencer parce qu’il n’y avait pas l’intention ! ». Je proposais des idées et il faisait des apports au cours du montage, des petites trouvailles d’illustration sonore, et il m’est arrivée d’éclater de rire en les découvrant après le montage, parce que je n’avais pas du tout pensé que ces illustrations pouvaient « dialoguer » avec le texte, s’en faire l’écho sans être redondantes.
Il m’a appris à prêter plus attention au son, moi qui suis surtout dans l’écriture et il m’a d’une certaine façon « ouvert les oreilles ».
Olivier Delevingne et Vanessa pendant les REC en janvier 2020.
Olivier Delevingne est un auteur-compositeur qui se définit lui-même comme « Sound Designer », c’est-à-dire que, non seulement il compose des thèmes musicaux, mais il créé aussi des univers sonores qui vont au-delà de cette écriture musicale et maitrise les outils du son les plus modernes. Il a été président de l’Unac (Union Nationale des Auteurs et Compositeurs) et a toujours défendu les droits des auteurs (il est d’ailleurs aussi membre de l’Upad à titre honoraire). Il est à l’initiative des REC avec Vanessa et David Ribotti.
Upad : On imagine bien que c’est un boulot fou, cela vous a pris combien de temps ?
V.B. : Quasiment trois mois. J’ai beaucoup appris, vous ne pouvez pas savoir le cadeau que c’était !
Upad : Qui a eu l’idée géniale du titre « Devine qui vient doubler? » (Pour les jeunes qui ne connaitraient pas leurs classiques en matière de cinéma, c’est une référence au film « Devine qui vient diner? » de Stanley Kramer sorti en 1967) :
VB: C’est Olivier, le réalisateur qui a pensé à ce titre et j’ai tout de suite dit « mais c’est une évidence. ». Ce titre est même devenu le nom de l’exposition dans son ensemble, et ça, nous n’y sommes pour rien!
Upad : Est-ce qu’il y aura une « saison 2 » ?
V.B. : J’aimerais bien. Il reste en effet beaucoup à dire. J’aurais bien aimé faire un épisode sur le tutoiement et le vouvoiement par exemple. J’avais de la matière pour le faire mais je n’ai pas eu le temps. Et j’aurais bien aimé interviewer plus de techniciens : un ingénieur du son, un chargé de prod’…Et ça a fait naître d’autres envies aussi puisque je suis en train d’écrire une autre série documentaire de podcasts. Ce n’est pas une commande, c’est un projet qui me tient à cœur, toujours lié à la culture.
Upad : Toi qui es donc hyper créative, comment es-tu arrivée dans le doublage ?
Quand j’étais petite, mes parents avaient une compagnie de théâtre : ma mère Dany Tayarda était comédienne, et mon père Jean-Louis Sarthou était metteur en scène et il écrivait des pièces, et beaucoup d’adaptations de romans. Quand j’étais au CP, ma maitresse m’a demandé ce que faisaient mes parents et j’ai répondu « ils collent des enveloppes ». Je n’allais pas tellement sur scène les voir travailler, et ils n’étaient pas sur scène toute l’année. Le reste du temps, ils collaient en effet des enveloppes à la maison pour envoyer des programmes, des invitations, des demandes de subventions etc… Et puis, dès qu’ils démarraient une saison, je les suivais au théâtre tous les soirs, et je voyais tout le temps la même pièce avec maman sur scène.
Oui c’est bien Vanessa, la petite fille à droite, avec ses parents.
Et après, ils se sont mis à faire du doublage quand j’avais une dizaine d’années. Je trouvais ça intéressant, mais pas une seconde, je n’aurais imaginé faire ça plus tard. Cela m’amusait d’aller de temps en temps le mercredi dans les studios mais j’étais plus tournée vers le côté réalisation, montage, chef op’, des trucs un peu plus « nobles » pour la jeune que j’étais. Et puis, j’ai fait des études d’anglais. J’ai commencé à faire de l’assistanat (réalisation, production) à la télévision et au cinéma. Mais en fait, ça ne m’allait pas parce que ça bouge trop de tous les côtés, il y a trop de monde. Je voulais écrire et j’ai commencé à voir le doublage autrement, comme étant au carrefour de toutes les choses que j’aimais.
En 1995, quand j’avais 21 ans, mon père a traversé une période douloureuse qui l’a atteint et il devait travailler sur un téléfilm-forcément urgent- et je le voyais tellement triste, qu’une fois, je me suis relevée dans la nuit, j’habitais encore chez mes parents et je me suis dit que j’allais essayer de l’aider et d’avancer son travail comme je pouvais, alors que je n’avais jamais écrit sur une bande mère. J’ai pris le crayon gras et je me suis dit : « OK ! Tu l’as déjà regardé faire ! Donc, vas-y, peut-être que ça le dépannera ! » ; j’ai travaillé jusqu’à ce que je ne tienne plus debout, et j’ai laissé la bande mère où elle en était et le lendemain, quand il s’est réveillé, il a découvert ce que j’avais fait et il a été très touché. Il m’a avoué après qu’il avait fallu tout réécrire. Il a dû garder 2 mots, (rires) mais il avait été tellement touché qu’il m’a dit : « D’accord, tu as l’air d’en vouloir, je veux bien t’apprendre ! ». C’est donc lui qui m’a formée. Il a relu les premières adaptations que l’on m’a confiées et il a été plus sévère qu’aucun prof n’aurait pu l’être avec moi. Il a été d’une exigence absolue, mais en même temps, c’est comme si j’avais été dans une super école.
Vanessa et Jean-Louis dans un article de Ouest France
Upad : Mais tu n’as pas écrit autre chose, des chansons par exemple ?
Oui. Parce que moi, ce que j’aime, c’est l’écriture tous azimuts ! J’ai écrit en effet pas mal de chansons. On avait gagné d’ailleurs des petits concours avec Philippe D’Avilla, chanteur de la troupe de « Roméo et Juliette » et le compositeur Benoît Menut (nominé cette année aux Victoires de la Musique Classique).
Vanessa et Benoît Menut recevant un prix de l’Unac pour leurs chansons
Mais je n’ai jamais développé cette activité même si je trouve que c’est recommandé, pour notre métier, de s’amuser à écrire des choses différentes. J’ai fait les Rencontres d’Astaffort aussi. J’ai écrit un livret de comédie musicale qu’on a joué une semaine au Théâtre Mouffetard, « Brocéliande ». J’ai écrit des poèmes. Et aujourd’hui, je me lance dans l’écriture de podcasts.
Pendant le 1er confinement en 2020, Vanessa a aussi créé avec Benoît Menut une chaîne YouTube appelée les chants du confinement.
C’est pour ça que j’ai adoré lancer l’aventure des REC parce que le matin, les étudiants avaient atelier écriture de doublage, l’après-midi, c’était musique de film et le lendemain matin, écriture de chanson.
Cette expérience que j’ai vécue de pouvoir m’exprimer dans différentes activités, je la souhaite à tout le monde, tellement c’est kiffant !
Vous trouverez les 12 podcasts ici .
Vanessa a aussi été interviewée par France Culture le 20 janvier 2021, vous pouvez écouter le replay ici.