L’IA, les métiers culturels et le doublage : point d’étape suite au Sommet de Paris de février 2025 (2ème partie)
(Message à nos adhérents : Cet article peut vous être envoyé en PDF pour en faciliter la lecture, contactez-nous)
Les Gages que nous voudrions obtenir
Pour ce qui est du doublage spécifiquement (même si cela rejoint les revendications des autres métiers culturels), quels gages doit-on demander à nos commanditaires (sociétés de doublage) / diffuseurs (chaînes de TV, cinéma et plateformes) / développeurs de logiciels utilisant de l’IA et aux autorités ? Il est possible que les gages demandés évoluent au fil du temps, mais au stade actuel, voici les points de vigilance sur lesquels il va falloir selon moi travailler. Il s’agira de se battre tant collectivement pour les faire appliquer qu’individuellement, car la responsabilité de chacun pèsera sur l’avenir de toute notre profession.
Un encadrement législatif pour éviter le pillage des données : La fouille (ou collecte) des données est la base de l’intelligence artificielle. Sans données, les mécanismes tournent à vide et doivent donc être nourris régulièrement et en l’occurrence par des textes de doublage existants. Comme dans toute conquête de nouveau territoire, il faut des règles, un encadrement : c’est cet encadrement législatif que nous appelons de nos vœux afin qu’il puisse être réglementé. Sans loi, pas de sanction possible. Nous pourrions déjà nous servir de deux articles existant dans le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données). La CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) a d’ailleurs publié le 7 février, en même temps que le Sommet, des recommandations que vous pouvez consulter ici.
Cette réglementation doit prévoir une rémunération pour les auteurs des œuvres utilisées pour renseigner les systèmes d’IA. Nous sommes les détenteurs de ces données protégées. Conclure des licences (contrats) sera donc la prochaine étape : nous sommes propriétaires de nos œuvres, les mettre à disposition de sociétés développant des logiciels d’intelligence artificielle appliqués au doublage ne doit se faire qu’en l’échange d’une rémunération. En adhérant à la Sacem, nous, dialoguistes, cédons à la Sacem l’autorisation (et le devoir) de contracter avec tous les utilisateurs de nos œuvres. Cela nous interdit par ailleurs de négocier individuellement. Ce sera donc à la Sacem d’aller voir les entités utilisant nos œuvres, une fois que le Règlement IA (RIA) sera entré en vigueur, pour contracter des licences avec elles.
C’est ici que nous devons vous expliquer le sens de l’expression opt-out (voir aussi lexique de l’IA en fin d’article pour avoir une définition plus complète). La fouille des données est inévitable et se fait déjà en pratique depuis quelques années. En octobre 2023, la Sacem a annoncé qu’elle exerçait son droit d’opposition (« opt-out ») afin de contrôler l’utilisation des répertoires de ses membres par des Intelligences Artificielles (IA) génératives, dans le but de protéger les droits d’auteur alors que les technologies d’IA exploitent souvent des œuvres sans autorisation ni rémunération. En pratique, l’opt-out signifie qu’il est interdit d’utiliser nos textes sans autorisation et que si on veut les utiliser, il va falloir rémunérer les auteurs de ces textes. Attention, cela ne vaut que pour les textes déposés après 2023 et cette mesure ne sera effective qu’en août 2025, quand le Règlement européen sur l’IA (RIA ou AI-ACT) entrera en vigueur. A partir de là, la Sacem pourra s’adresser aux sociétés qui ont réalisé de l’entraînement de Machine Learning en utilisant du répertoire Sacem et leur demander de conclure des licences d’utilisation qui prévoiront une rémunération. En faisant apport de notre répertoire à la Sacem, nous leur donnons mandat pour conclure avec toute entité exploitant nos œuvres, donc la licence sera collective, elle vaudra pour tous les sociétaires. La question de la répartition se posera alors, mais malheureusement nous n’en sommes pas encore à cette étape. D’ici là, il est probable que des systèmes d’identification ou de traçabilité des œuvres soient plus efficaces que ceux qui existent aujourd’hui, permettant une rémunération au plus près des utilisations.
La transparence sur la fouille des données est aussi une requête indispensable : nous devons pouvoir être en capacité d’identifier quelles œuvres ont servi à l’entraînement des machines. Sachant que le principe de la fouille de données fonctionne sur le volume (plus il y a de données intégrées, plus fine peut être la réponse à la demande). Comme pour le fait de contracter une licence, il est malheureusement irréaliste d’espérer que les sociétés Tech livrent spontanément des informations aux ayants droit ou à leurs titulaires (la Sacem en ce qui nous concerne) de même que toutes les chaînes de télévision ne communiquent pas toujours leurs programmes exacts. Il conviendra donc de faire reconnaître auprès du législateur le principe d’inversion de la charge de la preuve : sera par défaut présumée utilisatrice de nos œuvres toute société qui ne sera pas en capacité de prouver le contraire.
La transparence des modalités de fonctionnement des logiciels dans le cadre des logiciels de doublage et de sous-titrage : nos contrats devraient contenir une mention sur l’utilisation faite de nos textes. Pour l’instant, nous cédons des droits pour que le texte soit enregistré, reproduit et diffusé dans l’univers entier, mais il faudra sortir du flou concernant d’autres utilisations possibles, comme le fait que notre texte soit réinjecté dans un système d’IA génératif qui nous proposera à l’avenir des répliques à affiner. Les sociétés de doublage avec qui nous contractons doivent pouvoir nous renseigner en toute transparence sur l’utilisation faite de nos textes.
Nous devons obtenir la conservation de l’équivalent d’un « final cut » sur nos adaptations. Le principe d’une intelligence artificielle rend indispensable l’interaction avec un humain : le système ne s’améliore que si un humain valide ou invalide un choix, le réoriente, réécrit un texte afin de rendre l’outil le plus performant possible et que le dialogue final soit le meilleur possible. Il est donc impensable, en tout cas pour un certain temps, que l’autonomie soit totale. Or la personne qui validera les choix et aura le mot de la fin pour estimer que le texte est assez qualitatif pour être enregistré ne peut être qu’un auteur en possession d’un certain savoir-faire. Il ne peut pas s’agir d’un simple « cliqueur » automatique, comme les cliqueurs dont on rémunère le geste basique en s’achetant des followers ou des vues sur les réseaux sociaux. Il est donc essentiel de militer pour que les adaptations, au cas où elles seraient basées sur une proposition autogénérée (ce qui n’est pas souhaitable), continuent d’être sous la responsabilité d’un auteur à qui on reconnaîtra sa qualité de créateur de la version française. Il est important que se reporter ou non à cette proposition basique reste le choix de l’auteur et que celle-ci ne soit pas un argument pour minorer le tarif de la prime de commande.
Bien que parler d’un « statut d’auteur » soit un abus de langage car il n’existe en fait que des dispositions sociales et fiscales pour les auteurs, il est essentiel que le fruit de notre travail, même si techniquement les méthodes sont amenées à évoluer, reste considéré comme une œuvre, ce qui nous en attribue la paternité. Le fait d’être auteur de l’œuvre nous assure aussi de conserver l’absence de lien de subordination vis-à-vis de notre donneur d’ordre (contrairement à un salarié) et permet de prétendre à une rémunération proportionnelle à l’exploitation des œuvres, en plus de notre prime de commande dont rien ne justifierait la baisse. En effet même s’il est possible qu’à l’avenir nous puissions avoir une « cadence » accélérée, notre prime de commande n’a jamais été corrélée au temps passé donc toute tentative de baisse serait fallacieuse. Rajoutons aussi la Conformité avec le droit d’auteur et le respect de la propriété intellectuelle : C’est ce qu’a dit Rachida Dati dans son discours inaugural (consultable ici) : « Les créateurs font face à une mutation profonde. Les IA génératives permettent aujourd’hui de produire des textes, des images et même des œuvres « à la manière de » qui soulèvent des enjeux fondamentaux de propriété intellectuelle, de transparence et de rémunération. La rémunération des artistes et des auteurs est non seulement un principe fondamental, mais aussi un socle essentiel de l’innovation et de la diversité culturelle. Sans eux, rien ne peut exister. Sans eux, pas de création, pas de culture, pas de renouvellement artistique. Nous devons les protéger avec la plus grande détermination. Le respect de la propriété intellectuelle et des droits d’auteurs, ce n’est pas une option, ce n’est pas un détail et ce n’est pas un débat franco- français. C’est une question transnationale, un enjeu majeur, comme l’ont souligné les syndicats professionnels et les créateurs partout dans le monde, jusqu’à Hollywood. Le droit d’auteur a toujours su s’adapter aux révolutions technologiques passées. Il a résisté, il s’est renforcé, il a évolué. Il n’y a aucune raison qu’il n’en soit pas de même avec l’intelligence artificielle. Mais cela ne se fera pas tout seul. C’est un combat que nous devons mener sans relâche, à l’échelle nationale, européenne et internationale pour garantir non pas un compromis au rabais, mais un véritable cercle vertueux entre innovation et respect des créateurs. »
En parallèle, et pour que tous les points précédents puissent être applicables, il est important de travailler à la reconnaissance du savoir-faire de notre profession. L’Upad s’y emploie régulièrement (voir suite de l’article) : en échangeant avec nos confrères étrangers et en faisant des communications publiques communes, en montrant aux étudiants en Master qu’ils s’apprêtent à entrer dans un métier qui a près d’un siècle et que, quel que soit l’outil à leur disposition, leur travail consistera toujours à trouver la bonne idée, l’idée originale, fruit d’un regard critique et analytique de l’œuvre.
VB : Si nous voulons convaincre que l’IA ne pourra pas se passer d’un auteur, donc que l’IA + un auteur seront meilleurs que l’IA seule, il faut faire la démonstration constante de notre savoir-faire qui est réel. Les auteurs français ont du talent, le doublage français est réputé, soyons-en fiers, clamons-le chaque fois que cela est possible. Et si l’IA nous aide à éviter quelques étourderies qui nous arrivent à tous, si en plus elle s’occupe de reporter automatiquement les KNP dans nos ingrats tableaux Excel, si elle nous génère automatiquement une attestation ou un dépôt automatique de notre texte pour que son éventuelle réutilisation soit rémunérée plus rapidement, on pourra parler d’un progrès. Mais pour cela, la promotion de notre métier est indispensable : nous ne sommes pas des « remplisseurs de bouche » mais des auteurs à part entière !
Les impacts du travail sur un cloud : depuis deux ou trois ans, l’Upad, notamment à travers un article rédigé par David Ribotti, a exprimé ses craintes liées à la généralisation progressive du travail en Cloud Dubbing. Plusieurs plateformes fonctionnent actuellement sur ce principe. Pour des raisons diverses, notamment de sécurité (la crainte du piratage est en tout cas l’argument mis en avant), la vidéo, l’audio et les différents éléments dont nous avons besoin pour travailler ne seront plus accessibles qu’en ligne. Nous stockons tous notre rythmo virtuelle sur nos ordinateurs, les plus prudents d’entre nous font chaque soir une copie supplémentaire sur un disque externe de peur de la panne au redémarrage. Ces étapes ne seront plus nécessaires puisque nous travaillerons directement sur des interfaces dédiées et nos textes seront sauvegardés en ligne en temps réel.
VB : Se pose alors la question de l’accès à un réseau fiable : quid de l’auteur, et je pense que nous avons tous été concernés un jour, qui passe une semaine hors de chez lui et continue de travailler ? À moins d’être dans une zone couverte par la fibre, ou de se payer une connexion 4G ou 5G assez coûteuse, nous perdrons notre droit à la mobilité. Un problème supplémentaire que je vois est que nous serons monitorés par un outil qui saura en temps réel comment nous procédons pour travailler : notre temps de réaction face à une réplique, une blague difficile à adapter… il pourra garder en mémoire les huit ou dix essais que nous aurons tapés puis effacés avant de coucher la version définitive de notre adaptation et pourra éventuellement s’en servir pour apprendre à travailler mieux par lui-même. Pour toutes ces raisons, il est important qu’un dialogue s’installe entre les organisations professionnelles d’auteurs et les développeurs afin d’obtenir des gages de transparence sur les informations de notre workflow qui seront sauvegardées et éventuellement injectées dans le Machine Learning (voir lexique en fin d’article) du logiciel, à savoir son modèle d’apprentissage et de traitement des données. Ce point essentiel sera au cœur de nos rendez-vous à venir.
Il est important d’ajouter dans cette liste la question de l’éthique. On a bien vu le problème avec la bande-annonce du film « Armor » et l’utilisation par IA de la voix d’Alain Dorval (comédien décédé) pour doubler Sylvester Stallone (voir ici et ici). Nous vous conseillons le visionnage de la vidéo postée par la comédienne Pascale Chemin, à ce sujet (voir en fin d’article dans la section À LIRE OU À VOIR). Aurore Bergé, fille d’Alain Dorval, affirme ne pas avoir donné sa permission et que le studio a passé outre. Quelle sera la prochaine étape ? Prendre des stars comme Marilyn Monroe ou James Dean qui n’ont pas eu d’enfant (et donc n’ont aucun héritier en mesure de s’opposer à l’utilisation de leur image et de leur voix) et tourner un remake de Pretty Woman ? (Une publicité avait déjà utilisé Marilyn pour le Superbowl en 2016)
VB : Il est vrai que l’utilisation de l’IA pose aussi la question de l’éthique. En quoi l’IA peut avoir des impacts condamnables moralement ? La promesse d’un avenir où tous les textes seraient générés automatiquement sans intervention humaine et où toutes les voix seraient synthétiques, ne donnerait au public à voir que des « produits » et non plus des œuvres, et effectivement, cette perspective ne fait pas rêver. Envoyer à la casse des milliers de professionnels, perdre un savoir-faire artistique, c’est de toute évidence un drame humanitaire, une maltraitance. Mais cela n’est pas vrai que pour le doublage. Tout ce qui concerne la génération artificielle de produits qui se substitueraient à des œuvres est condamnable. Mais je crains que la question ne se pose pas vraiment en ces termes. De nombreux indicateurs laissent à penser qu’on n’en arrivera pas à ces extrémités et qu’on aura avant tout des solutions hybrides : un peu d’IA pour la génération d’une première version à peaufiner par un auteur, et la reprise d’un certain nombre de timbres de voix mixés sur le jeu d’un comédien humain. Et c’est là qu’il sera très délicat de placer le curseur. De toute manière, sans transparence, sans obligation de signaler qu’on entend une voix artificielle, comment saurons-nous quoi interdire ?
Début janvier, le Snac a publié un Pacte d’engagement éthique dont l’Upad, l’Ataa, Les Voix et le Syndicat Français des Artistes interprètes (SFA) sont cosignataires (consultable en fin de paragraphe). Ce texte plaide pour la prise en compte du doublage dans l’exception culturelle. Le doublage fait appel à la créativité et le pacte souligne le risque que les nuances culturelles et le sens même des œuvres s’efface en cas de généralisation de doublages ou de sous-titrages générés artificiellement. La mise en place de clauses protectrices est un préalable, et cette charte en liste plusieurs que nous devrions inclure dans nos contrats. Il faut s’apprêter à essuyer des refus, c’est pourquoi il est indispensable de militer pour que la loi nous soit favorable et reconnaisse une forme d’exception culturelle de l’IA. Cette charte peut sembler « idéaliste » mais il était important de faire état de nos revendications et des points clés dans un document officiel pour garder notre indépendance.
Pacte d’engagement éthique : Pacte d’engagement éthique Snac Upad Ataa SFA Les Voix
La question de l’IA n’est pas que technologique, elle est aussi politique : dans un monde où le chômage explose, surtout pour les « séniors », l’IA va forcément « remplacer » beaucoup de travailleurs. Que deviendront-ils ? Le sous-titrage est déjà très impacté et de plus en plus de professionnels doivent se contenter de retravailler, améliorer des propositions générées automatiquement. Sachant que 60% des auteurs de doublage et de sous-titrage sont des femmes, ne risque-t-on pas d’assister à des situations dramatiques (Vous pouvez à ce sujet consulter l’article sorti dans herstory-media intitulé « l’IA, la prochaine grande menace des femmes dans le monde du travail » et visionner le documentaire diffusé sur France 2 la semaine du sommet (lien dans le paragraphe À LIRE OU À VOIR en fin d’article).
VB : Comme la question de l’éthique que nous venons d’aborder, il y a aussi une dimension économique et politique. L’IA est un enjeu pour tous les développeurs de logiciels. Aujourd’hui, ces derniers ne peuvent vendre de nouveaux outils que s’ils revendiquent l’utilisation de l’IA, c’est un argument marketing. Mais qu’appelle-t-on un logiciel utilisant de l’IA ? Certains logiciels de doublage et de sous-titrage utilisent des outils d’IA généralistes pour la partie traduction, du type Google Trad ou Reverso, qu’ils embarquent dans des environnements dédiés à l’adaptation. Au final, ce qui en sort n’est pas alimenté par une analyse fine de 20 ans de listes de sous-titres ou de scripts de dialogues. Ils se contentent de faire en sorte que la réponse obtenue colle dans le nombre de caractères autorisés. Créer des bases de données spécifiques au doublage ou au sous-titrage à partir de nos œuvres uniquement ne serait pas rentable pour les concepteurs de logiciels. Il est donc évident que le jour où nous pourrons nous passer d’adaptateurs dans le sous-titrage et dans le doublage est encore loin. Par ailleurs, il existe encore énormément de laboratoires qui refusent d’avoir recours à ces procédés. Passé l’effet marketing, on se rendra compte que l’IA dans la culture est moins lucrative que dans d’autres domaines. En attendant, on constate dès maintenant qu’un fossé se creuse entre des programmes considérés « bas de gamme » sous-titrés ou doublés par des solutions aussi peu qualitatives et le marché classique de l’audiovisuel qui passe encore par les circuits traditionnels.
N’oublions pas que nous avons des droits à la formation professionnelle à laquelle nous cotisons depuis 2012. Chaque année, l’État verse 500€ sur votre compte CPF et vous disposez de 5600€ (plafond 2025) de droits à la formation via l’Afdas (pour des formations métier / activités complémentaires / reconversions). Trop peu d’auteurs de doublage font valoir ces droits, au lieu d’en profiter quand il y a des baisses d’activité.
Fin du sommet
La Déclaration finale signée par les 60 pays (à l’exception des États-Unis, du Royaume-Uni et d’Israël) comprend la mention suivante (comme le voulaient la Sacem et les autres OGC) : « Nous soulignons la nécessité d’une réflexion mondiale notamment sur les questions de sécurité, de développement durable, d’innovation, de respect du droit international, y compris le droit humanitaire et celui des droits de l’Homme, la protection des droits de l’Homme, l’égalité entre les femmes et les hommes, la diversité linguistique, la protection des consommateurs et celle des droits de propriété intellectuelle. » Néanmoins la Charte mentionnée plus haut sur laquelle ils avaient travaillé en amont avec le Ministère de la culture, les secteurs culturels et co-signée par près d’une quarantaine d’organisations internationales et européennes n’a pas été retenue par l’Élysée et n’apparait pas dans son dossier consacré aux publications concernant le sommet (en tout cas, elle n’y était pas au moment où nous écrivons ces lignes).
Les OGC disaient bien dans leur dernière communication que « le Sommet a donc une responsabilité particulière pour rappeler qu’il n’y aura pas d’IA de confiance sans respect du droit de propriété intellectuelle. Il n’y aura pas d’IA éthique sans les autorisations des titulaires de droits. Il n’y aura pas d’IA souveraine sans modèle d’affaire loyal. »
Conclusion
À l’heure actuelle, en réalité, personne n’est capable de prédire quel va être l’impact de l’IA sur nos métiers. Les plus pessimistes d’entre nous redoutent que les films étrangers soient doublés par des voix synthétiques, avec des phrases traduites tirées de bases de données et des bouches de comédiens à l’écran trafiquées pour coller aux mouvements de lèvres créées à partir de tous les dialogues passés. De nombreuses solutions sont déjà en mesure de le faire, avec des résultats variables (regardez cette vidéo).
VB : La technologie avance certes, et la tentation d’avoir des sous-titres ou doublages pour des coûts toujours plus bas (mais c’est le cas depuis des décennies !) va peser pour que l’IA permette des adaptations effectuées plus rapidement et à moindre coût. Le risque existe aussi de voir les commandes se délocaliser dans des pays où les cotisations et législations sur la propriété intellectuelle sont moins contraignantes.
Nous devons donc être solidaires avec tous les métiers de la création. Nous soutenons aussi les comédiens dont les voix sont synthétisées à leur insu. Les métiers évoluent. Nous devons valoriser le nôtre afin de dissuader les décideurs de nous considérer comme de simples traducteurs. C’est ce que l’Upad fait auprès des institutions avec lesquelles elle est en contact, des lieux de formation, de certains développeurs, et des festivals.
Voici un petit récapitulatif de quelques-unes des actions menées depuis quelques mois en amont du Sommet :
Le Worldwide Dubb : Pour la Journée Mondiale du Doublage, l’Upad a réuni des professionnels de toute la filière pour un think tank inédit sur l’impact de l’intelligence artificielle dans nos métiers. En compagnie de comédiens de doublage, de journalistes, d’experts numériques et de diffuseurs, nous avons lancé une démarche collective : un manifeste écrit collégialement le 12 juin, déjà signé par de nombreuses entités désireuses de rejoindre le Worldwide Dubb. Dans le même temps, l’Upad a apporté son soutien au collectif #TouchePasMaVF, représenté par Brigitte Lecordier, Louis Lecordier et Patrick Kuban de l’association LESVOIX.FR.
L’Upad a été conviée à Berlin pour dialoguer avec ses homologues allemands de la Synchronverband e.V. – Die Gilde qui avaient, eux aussi, réuni des représentants de comédiens, auteurs, sociétés de doublage et diffuseurs. Dans le monde entier, la filière doublage est déterminée à exprimer la plus-value de ses différents métiers pour prouver l’inadéquation de l’IA appliquée aux métiers créatifs.
L’Upad a participé au colloque « Réglementations naturelles pour intelligences artificielles » organisé dans le cadre du festival du film français de Florence, France Odeon. En partenariat avec la SACD et l’Institut Français, cet événement a permis de faire le point sur les avancées législatives et les enjeux de l’intelligence artificielle dans le domaine de la création (vous pouvez voir ici la vidéo faite par les comédiens de doublage italiens semblable à celle de leurs homologues français). L’Upad remercie notre adhérente Nathalie Castellani qui l’y a représentée.
Au Legal Corner, seul festival juridique sur l’audiovisuel, l’Upad a participé à la table ronde sur les impacts de l’intelligence artificielle. L’Upad a également participé au colloque Languages & The Media à Budapest, durant lequel notre présidente Vanessa Bertran est intervenue parmi un panel international de dialoguistes, où elle a démontré, preuves à l’appui, que les solutions informatiques de certains développeurs étaient inadaptées, peu qualitatives, chronophages, hors de prix et irrespectueuses des droits d’auteur.
L’Upad, l’Ataa, le Snac, le SFA et Les Voix ont été reçus par une délégation de la direction du CNC (Centre National du Cinéma) pour aborder différents impacts du développement de l’IA générative sur le doublage, le sous-titrage et l’audiodescription.
À lire et à visionner
Sur le sujet, nous vous conseillons : (les choses s’accélérant, vous n’avez ci-dessous qu’un échantillon de ce qui sort sur les réseaux sociaux ou dans les médias. Un grand merci au CA de l’Upad pour son travail de veille sur internet et les réseaux sociaux).
– L’excellent documentaire « Les sacrifiés de l’IA » disponible jusqu’en juin 2025 sur le replay de France TV ici
– Le storytelling d’EGO intitulé « L’horreur existentielle de l’usine à trombones » disponible sur YouTube ici. (Tenez bon jusqu’à la 9ème minute où l’auteur explique bien les enjeux de l’IA, vous verrez, c’est très bien expliqué)
– Un post de la traductrice littéraire et linguiste Laure Hurot sur Linkedin qui raconte de façon très drôle comment DeepL traduit une réplique de Chuck Norris dans Portés disparus 3 : c’est ici. Avec une simple démonstration par l’exemple, elle relève à quel point, même des films d’action comportent des dialogues qu’aucune traduction automatique ne peut rendre correctement dans le contexte d’un film
– Les posts de la comédienne de doublage Pascale Chemin sur Linkedin ici et notamment sa fameuse vidéo adressée à Rachida Dati ici où elle explique bien tous les textes législatifs existants et que l’on pourrait déjà appliquer
– Sur le site www.jeuxvideo.com (les jeux vidéo sont également très touchés par l’IA), on trouve des articles très intéressants comme celui-ci et celui-là qui parle de la traduction de la saison 2 de « My Little Poney : raconte ton histoire » faite par une IA et donne des liens YouTube pour comparer un épisode de la saison 1 (voix « normales ») et de la saison 2 (voix artificielles)
– L’excellente vidéo de Misterfox, youtubeur défenseur des métiers du doublage, sur Youtube intitulée « Doublage et IA : comment lutter ? »
– La vidéo sur YouTube d’AIcomparepro intitulée « Doublage vidéo IA : j’ai défié 5 IA de traduire une scène culte de Titanic »
– La vidéo de l’émission VOIX OUF avec Brigitte Lecordier et Emmanuel Curtil, comédiens de doublage et Jonathan Elkaim, avocat en propriété intellectuelle disponible sur YouTube ici et intitulée « Le doublage en danger ? Brigitte Lecordier et Emmanuel Curtil nous parlent de la menace de l’IA »
AVERTISSEMENT : Ce point d’étape est une photographie des enjeux de l’IA au moment où nous publions cet article dans le blog de l’UPAD c’est-à-dire le 23/03/2025. Les choses évoluant très rapidement, les exemples et les informations que nous vous donnons ici seront peut-être obsolètes dans quelques mois. Ainsi, alors que nous nous apprêtons à boucler ce travail, deux actualités de dernière minute tombent et nous tenons à les ajouter :
– 400 personnalités de Hollywood ont envoyé une lettre ouverte au Président des États-Unis Donald Trump pour s’opposer aux demandes d’Open AI et de Google, qui aimeraient contourner les règles de la propriété intellectuelle pour alimenter leur IA avec des œuvres cinématographiques sans demander d’autorisation ni rémunérer les ayants droit (lire articles de Variety du 17/03/2025 ici et du Hollywood Reporter ici).
– le 19/03/2025, l’Assemblée Nationale a publié ici une vidéo de leur Commission des affaires culturelles où il est question (entre autres) des droits d’auteur et de l’intelligence artificielle. Nous vous recommandons de la visionner car elle est très intéressante.
Un grand merci à Vanessa Bertran pour son expertise et sa disponibilité, et à David Ribotti et Julien Delaneuville pour leur aide.
Lexique de l’IA
Data mining / Fouille de données :
La directive européenne de 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (Dir. [UE] 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique ou directive DSM) définit ainsi la fouille de données : « toute technique d’analyse automatisée visant à analyser des textes et des données sous une forme numérique afin d’en dégager des informations, ce qui comprend, à titre non exhaustif, des constantes, des tendances et des corrélations ».
Dans notre secteur, on peut craindre qu’outre nos scripts, toutes les métadonnées que nous fournissons puissent faire l’objet de fouilles.
Opt-out :
Prévu à l’article 4.3 de la directive 2019/790 et à l’article L.122-5-3 du CPI, ce droit d‘opposition conditionne les opérations de fouilles de données (data mining) à une autorisation préalable.
Désormais, la Sacem insèrera de nouvelles clauses dans ses contrats concernant l’utilisation de son répertoire domestique à des fins de développement d’outils d’intelligence artificielle. Si une société souhaite utiliser ces outils ou le répertoire de la Sacem, elle devra lui demander une autorisation et conclure un contrat de licence avec elle. Vous n’avez pas à vous faire connaître de la Sacem car elle exerce ce droit pour l’ensemble de son répertoire constitué après octobre 2023.
Cloud Dubbing :
Cette technologie permet de centraliser l’ensemble des éléments du processus de fabrication d’un doublage sur une plateforme sécurisée, afin de le réaliser de manière décentralisée et de se substituer au studio tel que nous le connaissons, puisque les opérations d’enregistrement, de montage et de mixage sont réalisées en distanciel.
On vous donne un projet à adapter, au lieu de télécharger la vidéo et de commencer à travailler sur votre logiciel habituel, vous devez aller sur une plateforme en ligne gérée par la société de doublage et travailler directement sur cette plateforme où tout le matériel est déjà pré-téléchargé. La plateforme peut alors savoir à quelle allure vous travaillez.
Input – Output :
L’input est constitué des données entrées dans un système informatique pour nourrir l’apprentissage des machines, et l’output est la donnée générée par ce système et proposée à l’utilisateur, améliorable à souhait.
Voilà un exemple pour le doublage : Input – ce sont 50 textes VF écrits par différents auteurs de doublage que l’on va entrer dans une IA pour adapter un film. Output- ce sera le texte final généré par l’IA.
Prompt :
Terme anglais désignant les instructions envoyées à des intelligences artificielles afin que ces dernières génèrent des réponses satisfaisantes. La qualité de formulation du prompt conditionne la pertinence de la réponse.
Machine Learning / Apprentissage automatique :
Technologie d’intelligence artificielle permettant à un système informatique d’apprendre sans avoir été programmé à cet effet, par une analyse de données d’entraînement issues d’une fouille. Cela signifie que la machine est capable d’apprendre et d’améliorer ses performances en résolvant une tâche sans avoir été explicitement programmée pour faire cette tâche.
Reprenons l’exemple que nous vous avons donné dans le corps de l’article : Quand nous allons travailler sur un cloud, l’IA va pouvoir étudier notre méthode pour adapter un texte, voir quelles propositions on va accepter pour traduire des phrases, voir les répliques sur lesquelles on bloque, comment on va traduire des blagues. Tout cela va lui permettre d’apprendre toute seule et plus elle va nous « regarder » travailler, plus on va l’alimenter en textes VF, plus elle va devenir autonome.
NLP – Natural Language Processing :
Traitement du langage naturel, sous-domaine de l’IA qui se concentre sur la compréhension et la génération de langage humain par les ordinateurs. Utilisé dans la traduction automatique, l’analyse de sentiments et les robots conversationnels.
Pour le doublage, ce serait tout outil génératif de dialogues basé sur la technique du traitement du langage naturel, comme tout dictionnaire réalisé sur la base d’une fouille de données de traductions préexistantes.
Black Box / Boîte Noire :
Une « boîte noire » d’un système d’IA est le centre névralgique auquel on ne peut pas accéder et qui fait qu’une IA fonctionne à l’insu de son utilisateur.
On peut tenter l’analogie avec une recette de cuisine dont le chef ne dévoilerait pas ses secrets. Ainsi l’algorithme et les données d’apprentissage utilisées ne sont pas visibles ni communiquées. Paradoxalement, c’est aussi ce qui sécurise un système d’IA car étant difficile d’accès, il est peu susceptible d’être piraté. Mais l’opacité de son fonctionnement s’oppose à la transparence d’utilisation des données que réclament les auteurs.